Pourquoi y a-t-il autant de coachs ?
Voici un premier article d’une série encore indéterminée qui a pour objectif de partager quelques pistes de réflexion. La plupart de ces pistes ne sont pas de moi, je m’appuie notamment sur le recueil réalisé par 〽Jérôme Curnier dans son œuvre Coaching Global[1]. Rien n’est complètement nouveau, j’aimerais juste que ce soit une contribution à la compréhension de la valeur qu’apporte le coaching et en quelque sorte, sa raison d’être externe. J’ai voulu, enrichir les constats en les agençant autour de la perspective du phénomène social que représente la « production de coach ». Autrement dit, je me questionne sur la raison pour laquelle la société produirait des coachs et les raisons pour lesquelles les coachs interviennent dans la société.
La semaine dernière, j’intervenais au sein du DU de coaching professionnel, pratiques de l’accompagnement, pour initier la première de 3 rencontres sur le sujet du lancement de son activité de coach. Pour cela, je m’appuie sur le modèle « Business Model You » développé par Alexander Osterwalder. En lisant cet article de HBR qui donne des pistes de réflexion intéressantes sur ce que je peux apporter en tant que coach et comment en vivre, j’ai eu envie de compléter cette réflexion en me positionnant beaucoup plus en amont.
En suivant la logique d’un business model, je me focalise sur ce qu’est ma proposition de valeur. Or, si souvent je travaille sur mon identité, « ma couleur de coach », mes activités, je prends moins le temps de questionner la manière dont ce que je produis apporte de la valeur. Or sans sollicitation ni utilisation de mes services, je n’apporte pas de valeur à mes clients. Plus en amont encore, quand je réfléchis à ce « pour quoi » je suis devenu coach, je me rends compte qu’il y a un rapprochement qui s’effectue entre la Société et moi. Ces 2 pôles se rejoignent quand je regarde que je suis un coach « produit » de/par la société pour y apporter une contribution personnelle.
Les sphères sociales et privées s'interpénètrent :
Serge Tisseron parle d'une "Extimité"
« L’extimité est pour nous le processus par lequel des fragments du soi intime sont proposés au regard d’autrui afin d’être validés. Il ne s’agit donc pas d’exhibitionnisme. […] Au contraire, le désir d’extimité est inséparable du désir de se rencontrer soi-même à travers l’autre et d’une prise de risques. » [2]
Il y avait la sphère de l’intime et la sphère du social, nous sommes de plus en plus pris dans une extériorisation de notre intimité. Ce qui est paradoxal a priori avec nos rejets officiels de toute tentative d’intrusion dans nos systèmes. Nous créons des forteresses pour nous protéger de menaces externes : paparazzi pour les plus célèbres d’entre nous, politique RGPD pour tous, cybersécurité pour les organisations, immigration au niveau national … Dans le même temps, nous exposons notre image sur les réseaux, nous confions nos données à des moteurs de recherches pour nous simplifier la vie, nous partageons nos logements en airbnb, nous montrons au monde notre puissance nationale et souhaitons être attractifs. Dans l’extimité, il y a une tentative de se faire reconnaître de l’autre pour obtenir sa validation.
Alors pourquoi une telle émergence de coaching et de coachs ?
Pour y répondre, je peux prendre la voie de la personne qui devient coach ou prendre la voie de l’activité de coaching. Si l’on indique souvent que « le coach est le principal outil du coaching », nous voyons bien que c’est le même sujet que nous traitons. Cependant, distinguer ces 2 faces, sous réserves qu’il n’y en ait que deux, favorise le dialogue et va nous permettre d’enrichir les propositions
Pourquoi le coaching ?
Dans la galaxie des modalités d’accompagnement, on peut distinguer l’objet, le sujet et les moyens qui sont utilisés. Le coaching est une modalité d’accompagnement. Je vois déjà qu’émerge différentes modalités de coaching. Je vais pour cet article m’en tenir à ce que je connais le mieux : le coaching professionnel qui vise à accompagner des personnes dans la réalisation d’objectif professionnel en favorisant leur autonomie et responsabilité. Je réduis volontairement le sujet à des accompagnements individuels même si les coaching collectifs et d’organisation partagent cette visée. Cette définition est perfectible mais donne les éléments principaux. Alors, une fois le coaching professionnel défini, en quoi répond il à cet enjeu d’extimité ?
Parce que le sujet du coaching professionnel est déjà au cœur de cette problématique d’extémité. Nous sommes au coeur de la frontière personnel / professionnel lorsque une personne se questionne sur son management, ses objectifs, ses relations, sa stratégie, son bien-être,… pour lui et ses salariés. Le coaching intègre la prise en compte des émotions et relations, qui sont bien des sujets personnels, dans un environnement qui est social, normé. Parmi ces normes il demeure la vision qu’on sépare les sphères privées et personnelles. En prenant en compte les deux, le coaching propose une passerelle pour que dialogue et coexiste ce qui est vivant en nous et parfois cloisonné, faute de pouvoir s’exprimer.
En Process Communication Model, on insiste sur le fait que si nos besoins psychologiques ne sont pas nourris positivement, nous allons les nourrir négativement (c’est à dire pas de manière immorale mais d’une manière non bénéfique pour nous et l’autre). Le coaching pourrait donc être vu comme un moyen de faire dialoguer les dimensions privées et professionnelles d’une personne afin de l’aider à ajuster son regard et son positionnement. En favorisant la réappropriation sa part de responsabilité (et sa part seulement), le coaching permet au client de se revalider plutôt que d’attendre la validation de l’extérieur.
Ainsi, s’il trouve SON équilibre, peut-être aura-t-il moins besoin de montrer à l’ensemble de la sphère sociale ce qu’il vit en intimité. Peut-être aussi parviendra-t-il à moins se laisser envahir à l’intérieur de ce qui se joue à l’extérieur.
Pourquoi des coachs ?
Si le coach est son principal outil, quelle en serait la finalité ? Les coachs pourraient-ils être les outils du coaching, les « produits » d’une société en vue de répondre à des besoins ? C’est-à-dire, que des individus coachs viendraient réaliser une fonction sociale de coaching ? En explorant cette hypothèse, certaines personnes dans la société auraient donc une contribution à apporter pour accompagner des membres de la société au repositionnement de leur lieu de validation et de leur frontière entre le privé et le professionnel. Cela, dans le but d’atteindre les objectifs de la personne et de son organisation.
Si le coach est son principal outil, cela peut aussi signifier qu’il y a un sujet personnel qui vient en échos à son activité professionnelle d’accompagnement. Or cet échos se vit en interne et est l’objet d’un travail de réflexivité pour distinguer ce qui vient de soi, ce qui vient de l’autre et ce qui vient de la relation entre les deux. Ce travail de distinction entre l’intérieur et l’extérieur, est bien un reflet de ce pour quoi la personne accompagnée vient le voir.
Comment le coaching peut-il être un apport à l'émergence de solution ?
- Nous venons de voir que quand un coach accompagne, il veille à identifier ce qui se passe sur différents plans et à différents niveaux. En distinguant et unissant (reliant) ce qui se passe au niveau personnel et professionnel, au niveau individuel et collectif, ce qui se passe en lui et pour l’autre, le coaching offre une remise en perspective qui invite la personne à redéfinir et rechoisir ses frontières et son action
- En coaching, il y a un cadre qui nous rappelle la différence entre l’interne et l’externe. La confidentialité inhérente au cadre du coaching vise à sécuriser et permettre le travail de réflexivité. Remettre cette frontière, c’est permettre d' »unir sans confondre et de distinguer sans séparer ». La confidentialité n’est pas l’apanage du coaching, elle est encore plus prégnante en thérapie où le dévoilement de soi se fait plus intime.
- En travaillant par la relation sur des objectifs professionnels, le coaching est, pour paraphraser une grande marque de yaourt « un moyen de faire du bien à l’intérieur qui se voit à l’extérieur ». Ce qui se vit en coaching pour la personne accompagnée est bien un enjeu de transformation personnelle dont la finalité est de rejaillir à l’extérieur. Ca ne se produit pas en partageant les story des séances du coaching mais en agissant et interagissant différemment dans les environnements du client, concrètement, au quotidien.
Nous avons vu dans cet article comment la société et ses acteurs, le coach et le coaching sont traversés chacun à leur manière par ce phénomène d’extimité et comment chacun, par les solutions qu’ils développent, contribuent à l’émergence de nouvelles problématiques et de nouvelles solutions. Nous aborderons dans le prochain article une réflexion sur ce qui se passe avec les corps intermédiaires. En attendant, n’hésitez pas à critiquer cet article en l’enrichissant de vos réflexions et en identifiant positivement ce qui vous semble améliorable.
[1] Curnier, J. (2015). Coaching Global, Volume 1. Accompagner les enjeux d’un monde en mutation, AFNOR, 406p.
[2] Tisseron, S. (2011). Intimité et extimité. Communications, 88, 83-91. https://doi.org/10.3917/commu.088.0083